La Commission “Attentat” de la Chambre des Représentants va recommander au gouvernement fédéral de mettre un terme à la concession de la Grande Mosquée de Bruxelles à l’Arabie Saoudite. Celle-ci jouerait en effet un rôle important dans l’expansion de l’intégrisme islamiste en Belgique. Ce qui est tout à fait piquant dans cette histoire, c’est que l’Arabie Saoudite avait aussi en concession le petit bâtiment qui se trouve juste à côté de la mosquée : le pavillon Horta-Lambeaux, qui abrite le sulfureux relief “Les Passions humaines”, de Jef Lambeaux.
C’est en effet en 1978 que le roi Baudouin a fait don au roi Khaled d’Arabie Saoudite de l’ancien pavillon oriental du parc du Cinquantenaire et du pavillon Horta. Don que l’Etat belge a validé en 1979 par une concession, jusqu’en 2068, à l’asbl “Centre islamique et culturel de Belgique”. A la suite de péripéties diverses (lire sur Wikipédia), le gouvernement d’Arabie Saoudite rend finalement le petit pavillon Horta aux Musées royaux d’Art et d’Histoire. Il faut dire que le royaume islamique sunnite, connu pour son rigorisme, devait se trouver fort embarrassé d’hériter de cette sculpture monumentale (11m sur 6m) de Jef Lambeaux.
“Les Passions humaines”, achevée en 1898, représente les plaisirs et les malheurs de l’humanité. Elle a longtemps été entourée de mystère et marquée par une réputation sulfureuse. Est-ce la raison pour laquelle la porte qui ouvre sur la grande salle du pavillon, dans laquelle se trouve le relief, est toujours close. Avec toutefois une petite ouverture grillagée, qui permet de voir quelques centimètres carrés de la sculpture. Quand je m’approche de la porte d’entrée du pavillon, le garde qui prend mon ticket souligne bien : “Je tiens la porte fermée, à cause des voisins…” avec un regard insistant sur la mosquée d’à côté.
L’oeuvre elle-même est magistrale ! Non seulement elle est monumentale, et occupe tout le mur du fond de la salle du pavillon, ce qui en accentue la présence, mais surtout il se dégage de ses reliefs, de ses corps sculptés, de ses visages tantôt torturés, tantôt joyeux, une puissance et une intensité saisissantes.
Le sujet lui-même évoque La Divine Comédie, en littérature, Le Jardin des Délices de Jérôme Bosch, en peinture, ou encore Les Portes de l’Enfer, de Rodin. En haut de ces “Passions humaines” trône d’ailleurs la mort, à sa gauche c’est un homme attaché en croix à la façon du Christ, et à sa droite on distingue le visage hilare d’une sorte de satyre, peut-être de Pan lui-même. Le relief donne à voir des corps entremêlés, parfois comblés de plaisir, parfois tordus de douleur. Les mains caressent ou s’agrippent désespérément. Et les visages expriment joie, voire jouissance, ou au contraire tourment et désespoir.
J’ai toujours trouvé jubilatoire la grande proximité de la mosquée et des “Passions humaines”. Pour moi, c’est ici un accomplissement de la puissance de l’art : on y à la fois la virtuosité technique, la splendeur esthétique, la richesse symbolique et la portée politique.
D’ailleurs, j’avais modestement marqué le coup avec deux livres que j’avais collé sur les marches du pavillon. Ils n’y sont plus depuis longtemps.
Infos pratiques :
Le relief est visible de fin mars à fin octobre. Cette année, on peut encore le voir jusqu’au 29 octobre. Après, il faut épargner les gardiens qui se les gèlent dehors en vous attendant pour valider votre ticket et vous ouvrir la porte. Attention, il faut aller acheter votre ticket (2,50 EUR) à la caisse du Musée du Cinquantenaire (pas le Musée de l’Armée ni le Musée de l’auto, le Musée du Cinquantenaire se trouve de l’autre côté des arcades, à gauche quand on vient de l’esplanade des musées de l’Armée et de l’Auto).